Miser sur l’engagement durable comme levier de création de valeur : un retour aux sources de l’entrepreunariat ?
Marches pour le climat, sommet sur la biodiversité, manifestes étudiants, sans parler des “gilets jaunes”… Jamais le moment n’a été plus propice pour agir. Tous les indicateurs d’une “révolution citoyenne” sont passés au vert et signalent une urgence devenue institutionnelle. Or, devant l’incapacité du politique à prendre les décisions qui s’imposent et la défiance du citoyen vis-à-vis des institutions, cette demande s’adresse en priorité aux entreprises et surtout aux marques qu’elles portent. Ainsi, en 2018, 64% des consommateurs déclarent choisir une marque sur la base de son engagement dans les grands débats de société*. Même si ces bonnes intentions sont à pondérer selon les enjeux, elles ne cessent de progresser (+17% vs 2017). Aujourd’hui, être une marque de qualité, c’est travailler son engagement.
Sommées de s’engager, de nombreuses marques sont encore démunies…
Les entreprises sont donc en première ligne et c’est une formidable opportunité qui s’offre à elles. Cependant, une telle opportunité ne va pas sans devoirs. La RSE, cet acronyme qui témoigne en soi d’une contrainte, reste une inconnue pour nombre de personnes (49% des Français) et en-dehors du CAC 40, la fonction est encore sous-représentée en France (46% des ETI et 19% des PME). Par ailleurs, pour beaucoup d’entreprises, la RSE sert encore d’alibi quand elles se contentent d’un peu de philanthropie et d’une communication de façade. A ce jeu-là, le risque est grand – il n’est qu’à voir les critiques de l’initiative “Conscious” de H&M : toute prise de parole opportuniste est immédiatement assimilée à du greenwashing et sanctionnée par le consommateur. C’est donc bien au-delà des aspects réglementaires ou d’un exercice de communication, fut-il joliment orchestré, qu’il faut aller chercher.
Comment réconcilier performance économique et développement durable ?
Affirmer une position sur le développement durable, c’est avant tout accepter de questionner son modèle. De la traçabilité des achats à l’empreinte carbone, en passant par les relations avec les parties prenantes internes et externes, les chantiers sont immenses et impliquent une mobilisation des énergies, des ressources et une réelle volonté de changer. Or, c’est tout le mythe de la théorie économique qu’il va falloir battre en brèche dans la mesure où le libéralisme a posé comme dogme une corrélation négative entre profit et performance sociale.
La bonne nouvelle, c’est la démonstration de Barnett et Salomon, qui, en 2012, crée un lien entre création de valeur et score KLD (intégrant les principaux enjeux du développement durable). Cette démonstration ouvre la voie à de nouveaux modèles de “conscious capitalism” et réconcilie les deux mondes en partant du principe qu’un écosystème traité avec respect génère un engagement puissant aussi bien de la part des employés que des clients.
De nouveaux indicateurs de performance qui intègrent d’autres dimensions que celles du profit, de la RSE à la VPE (valeur partagée de l’entreprise) voient le jour. C’est d’ailleurs une même conviction qui sous-tend la loi PACTE, un encouragement clair au développement des entreprises à mission.
Mais en pratique, la vertu peut-elle vraiment créer de la valeur pour les entreprises ?
Des études commencent à mesurer l’impact du développement durable sur les résultats de l’entreprise : France Stratégie en évaluait ainsi l’écart positif à 13% en 2016. Bien sûr, l’amélioration du goodwill en est une partie essentielle. Mais surtout, la capacité d’attractivité et de rétention des employés en sort renforcée (70% des salariés sont plus loyaux et plus fidèles lorsque leur entreprise s’engage durablement, selon la même étude).
Alors, comment faire concrètement ? D’abord dépasser le stade de la seule communication, à la fois insuffisant et porte ouverte à tous les risques, avec des actes : c’est avant tout ce qu’attendent les individus. Mais attention, pas n’importe lesquels : des actes en cohérence avec la raison d’être de l’entreprise, sa vision du monde.
Cette réflexion sur le “why” d’une entreprise, selon l’expression de Simon Sinek, est souvent l’apanage des nouvelles marques nées à l’ère digitale, qui se définissent d’abord par le sens et la raison d’être et s’appliquent dès le début à intégrer le développement durable dans leur ADN. C’est le cas de Veja, qui s’est érigée en contre-modèle de Nike, de Jimmy Fairly avec le “buy one give one” ou encore de Chobani.
Cependant, les marques issues de l’ancien monde peuvent aussi tirer leur épingle du jeu. Patagonia a tiré les fils de sa mission d’origine pour progressivement creuser le sillon du respect de la planète. Cet engagement est aujourd’hui sa source principale de valeur additionnelle en capitalisant sur la durée de vie de ses produits (+30% de CA en 2012 après le lancement du programme “Common Thread”) et sur l’innovation (développement de nouvelles matières “hardshell” avec des avantages pour le consommateur comme pour la planète). Une posture vertueuse créatrice de valeur puisqu’à près de 50 ans, Patagonia ne s’est jamais aussi bien portée.
De la même manière, Danone est passée d’un travail de communication sur ses actions philanthropiques à un véritable parcours d’engagement, marque par marque, activité par activité, de la certification BCorp à la réduction de son empreinte carbone : une démarche initiée par une réflexion customer-centric sur l’avenir de son business (montée en puissance du bio, recherche de traçabilité, questionnement sur les plastiques), devenue projet d’engagement d’entreprise avec de fortes implications sur la gouvernance.
L’engagement durable, moteur d’innovation et levier de transformation
Ouvrir la voie vers le changement durable est donc non seulement souhaitable mais possible – voire nécessaire ! Bien sûr, ce n’est pas un chemin facile car c’est bien de transformation dont il s’agit, de transformation et de vision. Ainsi, quand on les interroge, les nouveaux directeurs de la RSE, membres du COMEX, nous le confirment : c’est moins une question de ressources que de volonté. Cette volonté doit s’ancrer dans une raison d’être durable pour l’entreprise et être relayée – et impulsée – au plus haut niveau, à l’instar d’Emmanuel Faber pour Danone.
Un tel leadership est indispensable pour faire changer les mentalités et les règles du jeu à tous les niveaux de management : intégrer le développement durable comme objectif à atteindre à parité avec les objectifs financiers, faire évoluer les modèles de gouvernance avec moins de verticalité et plus de transparence, intégrer les questions de responsabilité à tous les process d’innovation… L’autre point fort de cette démarche est la participation active des salariés qui y trouvent fierté d’appartenance et réponse à leur quête de sens, une attente de fond qui concerne tous les salariés et encore davantage les Millenials : vers l’employee-centricity ?
Une raison d’être qui dépasse le seul objectif de performance financière, une vision du monde qui ne s’arrête pas à celle du business, un raisonnement sur le temps long… Et si on était tout simplement en train de ré-inventer le modèle des entreprises tel qu’il a émergé au XIXème siècle ?
Kim Hartmann, Planneuse Stratégique
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