4# les 6 principes de l’innovation design
Lorsqu’une innovation est lancée et qu’elle ne récolte pas le succès commercial attendu, la conclusion la plus évidente à tirer est qu’elle n’est pas pertinente. Mais si le produit n’a pas intéressé les consommateurs la première fois, cela signifie t’il forcément qu’il n ‘a pas sa place sur le marché?
Au contraire, envisageons l’hypothèse selon laquelle le produit n’aurait pas assez pris la place ; c’est à dire, qu’il aurait, tout simplement, insuffisamment exploité son potentiel. Ce qu’il faut remettre en cause alors, ce ne sont pas les qualités fonctionnelles et techniques du produit (ce qu’il est), mais la façon dont celles-ci sont racontées (ce qu’il dit de ce qu’il est). Ainsi, une innovation peut être légitime, tout en imposant cependant une évolution de ses modalités d’existence.
Pour maximiser le potentiel d’une innovation légitime qui ne fonctionne pas, il est nécessaire de modifier le paradigme. Le paradigme d’une innovation détermine la façon dont le consommateur interprète le produit, le décrypte, le ressent, l’envisage. Par exemple, un simple qualificatif comme « Light » ou « Max » peut bouleverser la perception du Pepsi. Le premier paradigme, « régime », représente la boisson par ce qu’elle n’est pas, (sucrée) et amène le consommateur à l’envisager sous des termes restrictifs :« la boisson pour que je ne grossisse pas ». Au contraire, lorsque Pepsi s’attache au paradigme « goût » (concentration des arômes, des saveurs, des sensations) il introduit au contraire une notion de plaisir décuplé qui inverse le premier qualificatif de « light » : le non sucré est, non plus une réduction des qualités de la boisson, mais une extrapolation de ce qu’elle a de meilleur, pour sublimer l’expérience consommateur. Le produit n’a alors d’édulcoré que la composition ; tandis que son histoire et sa symbolique s’élèvent. Il est d’ailleurs intéressant de noter qu’en France, le Pepsi Max est le pilier de la marque.
Ainsi, le changement de paradigme est la première étape vers la construction d’un imaginaire. Il s’agit de faire passer la marque d’un paradigme fonctionnel (qui se contente de décrire les qualités objectives du produit) à un paradigme émotionnel, qui raconte une histoire exclusive. Au delà d’être compris, le produit sera vécu, et ressenti par le consommateur, parce qu’il touche à ses sensations plutôt qu’à sa connaissance.
L’exemple de Perle de lait est, à cet égard, particulièrement intéressant. Ce produit, aux qualités organoleptiques indéniables, connut pourtant deux échecs cuisants lors de ses premières commercialisations. Les noms premier degré Ofilus… puis « double douceur », sonnaient comme une explication rationnelle du produit, qui reposait, de plus, sur une figure de paraphrase : la douceur multipliée par deux. Non seulement on se contentait de décrire le produit, mais en plus, on le faisait deux fois ! Mais double douceur a changé de peau. D’une douceur au sens propre, le produit s’est paré d’une douceur figurée, synonyme de raffinement et de préciosité. Associée au « lait », la perle devenait cocoon, enveloppante, comme un moment intime de retour à soi et à ses origines. Ainsi, la douceur du goût, de la texture, était elle le point de départ pour raconter la belle histoire d’un instant d’harmonie intérieure. Le produit a alors vu ses ventes croitre de façon exponentielle, et les consommateurs de Perle de lait en sont devenus des afficionados. Le premier niveau « douceur » a donc été justement et efficacement dépassé pour créer un concept unique.
Dans le contexte actuel, les concepts les plus réussis sont les concepts métissés. Si les consommateurs de 2013 sont méfiants à l’égard des marques, ils n’en sont aussi que plus exigeants.De l’innovation, ils attendent un niveau de sophistication extrême. Sophistication technique bien sûr, mais aussi, sophistication symbolique, c’est à dire, capacité à offrir un imaginaire de marque riche et complexe . Or, le métissage est la forme la plus aboutie de sophistication symbolique. Métisser une marque, c’est créer une réalité produit unique, un concept, en croisant des imaginaires différents, qui ne lui ressemblent pas au premier abord, mais qui vont la nourrir de façon exceptionnelle. Prenons l’exemple de N.A. Au premier degré, N.A est un produit composé uniquement de fruits, sans apport de sucre. Cette qualité technique est parfaitement en ligne avec la tendance consommateur de retour à la nature. Mais le concept de N.A va bien plus loin que ces qualités objectives. A l’imaginaire d’authenticité brute s’ajoute celui, antinomique, de l’addiction. Comment associer naturalité saine et addiction ? Tout simplement en racontant l’histoire exclusive, unique, d’un fruit bonbon, d’une drogue saine. Aimer N.A, c’est être « addict de la nature », ne plus pouvoir se passer de ces petits carrés de fruits vrais.
Du sain au transgressif, du naturel au ludique, de l’authentique à l’addictif, NA est un produit aux multiples dimensions, à l’imaginaire sophistiqué.
Il est intéressant de constater, dans cette mesure, que l’imaginaire d’une marque à métisser est à chercher à l’opposé de ce qu’elle est, dans la contradiction et le dépassement. ( ainsi superpose t’on la santé à l’addiction). Toute marque dont l’imaginaire repose sur les qualités objectives du produit reste dans l’échelle de valeur de ses concurrents : plus ou moins puissante… plus ou moins qualitative etc… Au contraire, lorsque la marque s’émancipe des codes conventionnels et développe un imaginaire extérieur au produit (et si ce métissage est pertinent), elle peut se distinguer fondamentalement. Elle crée alors un marché parallèle, sur lequel elle a le monopole. C’est le cas Nespresso et de son consommable bjiou, d’Apple et de sa technique intuitive.
Derrière tout cancre, peut donc se cacher une Superstar. Lorsque la paraphrase est évitée, que les qualités fonctionnelles du produit sont dépassées, l’innovation peut donner naissance à une réalité exclusive, inimitable, qui peut devenir la seule référence. Car, si l’on peut copier un brevet, il est impossible de reproduire un imaginaire : celui-ci est par définition propre et signé. Et pour vos marques : bonnet d’âne ou podium ? A vous de décider !
Jérôme Lanoy – CEO Logic Design