Un des rares avantages de l’âge, c’est le recul qu’il donne. L’évolution de la société se déroule dans notre mémoire comme un film vécu en immersion. La plus fascinante évolution étant celle d’une société ultra-normée à une société du « tout fout le camp ».
J’ai baigné professionnellement dans l’ère du tout pour la carrière et du Tapie conquérant, où l’on disait franchement « votre argent m’intéresse » et où la publicité larguait sans complexe des 4×4 sur la banquise. On n’en faisait jamais trop. Le trop (de travail, d’argent, de pouvoir, de sex-appeal, d’artifice…) était la norme. Tout était léché, contrôlé, balancé avec arrogance à la face de l’individu, passif par défaut.
Et voilà que, 30 ans plus tard, à travers la révolution numérique, l’individu se rebelle. Parce qu’il le peut. Parce qu’il le vaut bien.
Tel l’arroseur arrosé, la marque est sommée de se justifier, de se mettre à nu, de prouver sa bonne foi, d’être fidèle et irréprochable dans son union avec le consomm’acteur. Elle n’a plus le contrôle et doit l’accepter. Sa communication, jadis (con)descendante et filtrée, devient conversation, avec l’authenticité et l’immédiateté érigées en vertus souveraines.
C’est ainsi que s’est développé la tendance du Quick & Dirty, héritée du domaine des sciences. Elle qualifie une solution brute, imparfaite, inélégante, mais rapide à entreprendre et ajustable a posteriori. Le Quick & Dirty trouve son apogée sur les réseaux sociaux. Le politicien présente ses vœux d’une caméra tremblante dans sa cuisine, la société d’assurance utilise les fails d’Internautes pour faire sa promotion, la start-up met son produit en vente à partir du making-of, Oprah Winfrey vante « spontanément » la friteuse T-Fal actifry… qui lui a été envoyée par Seb, sans arrière-pensée bien entendu.
Ce culte de la sincérité associé au mythe de la spontanéité finit par interroger. Qu’importe si le contenu proposé est pro, il doit faire « vrai » – quitte à bouger volontairement la caméra. S’il semble réfléchi ou prémédité, il tombe à l’eau.
Et voilà que le consommateur devient lui-même arroseur arrosé, victime d’une appétence compulsive pour ce qui semble vrai et spontané, à défaut de l’être réellement. Instagram, réseau plébiscité au départ pour sa simplicité est devenu le temple raillé du paraître et de l’artifice. Les influenceurs se retrouvent épinglés pour leurs mensonges et tricheries : promotion d’événements et de produits fumeux, comportements à l’opposé de leurs prises de position, nombre d’abonnés gonflés par des armées de « bots »… Un compte anonyme @rendslesfollowers a même vu le jour face à ce phénomène.
Et si, finalement, on gagnait à être juste un peu moins Quick, le temps de vérifier si ce qui brille est vraiment or, si la séduisante news n’est pas fake, si la sincérité n’est pas fabriquée… On passerait ainsi du Quick & Dirty au Tick & Hurry, autrement dit : “Fait vite d’accord, mais vérifie d’abord !”
Catherine Sandner, New Business Manager
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